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  • Coraline VAZ

Le développement du foncier commercial solidaire


La difficulté structurelle de l’économie sociale et solidaire (ESS) à accéder à des locaux d’activité (abordables et bien situés) a favorisé l'émergence des foncières solidaires. Décryptage de ces nouveaux acteurs de l'immobilier qui revêtent plusieurs modèles et tentent de déjouer les règles du marché et de la spéculation.


En zones rurales comme urbaines, l'accès au foncier est difficile

L'accès à des locaux adaptés, bien situés et à coût modéré est une problématique majeure à laquelle sont confrontés beaucoup de porteurs de projet au moment de lancer leur activité sociale et solidaire. Beaucoup de temps peut être perdu à cette étape, jusqu’à parfois même hypothéquer la réalisation du projet. Les obstacles diffèrent entre les zones urbaines, les villes moyennes ou les zones rurales.


En effet, dans les zones urbaines où le marché est dit tendu, les locaux d’activité sont un bien rare et cher, la prime va donc au plus offrant ou au plus solvable. Sur le marché de l’immobilier tertiaire, la titrisation des actifs (permettant de transformer un actif immobilier en un ensemble d’actions ou d’obligations facilement échangeables) a internationalisé le marché devenu hautement spéculatif. « Le secteur a été privatisé, financiarisé, décorrélant ainsi la valeur des bâtiments de la réalité locale », explique Fanny Cottet, qui mène une thèse sur les foncières solidaires au sein de Base Commune, une foncière qui intervient dans les métropoles au marché tendu. Il reste donc peu de place et de temps aux entrepreneurs de l’ESS pour faire la pédagogie de leur modèle économique hybride, leur impact social et ainsi convaincre les promoteurs.


Dans les territoires où l’offre est moins contrainte, l'enjeu est de redynamiser des zones de chalandise délaissées. La question du coût du foncier et de l’immobilier peut également rapidement se poser, que ce soit celui du coût des travaux de rénovation et d’adaptation (qui peuvent dépasser la valeur du terrain acquis) ou que ce soit la hausse des prix d’acquisition ou de location poussée par l'exode urbaine post-covid.



Les différents modèles existants : les foncières et les fonds de dotation

De son poste d’observation, Fanny Cottet constate aussi que les projets de l’ESS, notamment les tiers-lieux, tentent de plus en plus souvent de sécuriser leur installation en devenant propriétaire de leurs locaux : « ils passent par les foncières pour qu’elles portent l’immobilier. On note également une tendance à l’appropriation collective des lieux par des associations et autres acteurs de l’ESS, qui passent alors par des foncières solidaires pour compléter un tour de table. Enfin, l’autre mouvement, plus institutionnel, est de voir des collectivités qui structurent des foncières ou un fonds de dotation (capitalisation de ressources dont les revenus servent à financer une activité d'intérêt générale ou sont reversés à un organisme sans but lucratif) pour appuyer un acteur qui va agir pour l’immobilier solidaire, comme par exemple la Métropole de Bordeaux qui a missionné l’association ATIS".


Le concept de foncière solidaire dépasse donc le cadre strict de la foncière dont le rôle est d’acquérir et gérer un parc immobilier pour être étendu à des outils d’investissement dans les locaux d’activité.



L'épargne citoyenne, un levier important

Si l'on prend l'exemple des pionniers (Habitat et Humanisme sur le logement, Terre de liens sur les terres agricoles), l'épargne solidaire a eu un effet levier fondamental pour faire de l’immobilier solidaire.


En effet, leur modèle s'appuie sur une communauté d'épargnants à l'origine de l'initiative qui ne cesse de grandir pour alimenter en liquidité la capacité d'acquisition sur le long terme (seul moyen radical de sortir du jeu spéculatif). "Ils sont capables de sortir des terres ou du bâti du marché pour en faire un bien commun", souligne Raphaël Boutin-Kuhlmann, co-gérant de Villages Vivants, dont la foncière s'est spécialisée dans les zones détendues et rurales.


Mais la création d'un tel élan n'est pas aussi aisée sur les locaux d'activité que sur la terre nourricière. Sur les 5,3 millions d'euros levés par Villages Vivants récemment, 400 100 euros proviennent d'une campagne de financement participatif et le reste de fonds d'investissement comme Mirova, Ecofi, France Active investissement, de banques privées, de la Caisse des Dépôts - Banque des Territoires et de l'État.


Les modèles émergents de foncières solidaires comme Etic, Bellevilles, Base Commune ou Villages Vivants (pour citer les plus avancées) cherchent donc, aussi, leurs fonds chez les investisseurs institutionnels qui n’ont pas les mêmes logiques d’action qu'un épargnant militant. En effet, ces derniers investissent sur des cycles de cinq à sept ans. Il faut donc organiser autrement le flux de liquidité pour pouvoir rembourser les investisseurs.


La première ressource des foncières est l’encaissement des loyers. Les loyers solidaires sont maîtrisés, donc peu sujets aux augmentations. Deuxième ressource : le produit de la revente, à terme, de certains biens immobiliers, principalement à ceux qui ont l'usage du bien. Là encore, la fixation du prix est subtile. En effet, il se doit d’être juste pour l'acheteur (l'usager du lieu) et pour la péréquation du modèle économique global de la foncière. La solution consiste à s'affranchir des logiques de marché, de la valeur vénale, et créer son propre mécanisme de valorisation.


La foncière Villages Vivants joue la carte de la mixité des investisseurs, ce qui augmente la part de l’épargne citoyenne dans ses levées de fonds : « Nous avons l’objectif de plus que doubler annuellement notre épargne solidaire : 1 million en 2022 et 2,5 en 2023 », évalue Raphaël Boutin-Kuhlmann.


L’importance de la lucrativité limitée

La nature solidaire de ces foncières réside par ailleurs dans le choix d’une lucrativité limitée au bénéfice d’un intérêt collectif ou général. "Notre radicalité se loge dans notre répartition de l'argent et du pouvoir via la gouvernance. Par exemple, en tant que gérant et sociétaire de la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), si je récupère les milliers d’euros que j’ai investis au départ, ce sera sans plus-value. Il nous semble important que les foncières solidaires, au-delà de leur action sur le terrain, via leur réalisation immobilière, continuent d'ouvrir la voie des entreprises où le partage de la valeur est complètement orienté vers l'intérêt général", complète Raphaël Boutin-Kuhlmann.


Dynamiser les centres

Au-delà de ces enjeux, l’intention profonde est de modifier autant que faire se peut les « règles du jeu » traditionnelles, comme l’explique Fanny Cottet : "C’est une volonté de reprendre le droit à la ville par la mixité des activités. Villages Vivants est porté sur la dynamisation des centres-villes, avec l’idée que l’ESS peut créer de nouveaux parcours entrepreneuriaux. Pour Base Commune qui agit dans les métropoles, la logique est d’aller contre le marché immobilier pour apporter une nouvelle respiration".


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